Il fut également le bon vivant par excellence, l'ami fidèle et un amateur de canulars. Un sens de l'humour hérité de son père Georges.
"Ma blague préférée, c'est peut-être celle dont a été victime Bernard Pivot au cours d'un dîner d'anniversaire du guide Michelin en 1990 à Collonges-au-mont-d'Or", se rappelait Alain Vavro, collectionneur d'art et graphiste de Paul Bocuse.
Le journaliste lyonnais avait été chargé de rédiger un hommage à Bocuse, un petit texte devant figurer au dos du menu de ce dîner prestigieux. Alain Vavro avait alors été complice de ce canular fait à Bernard Pivot. Puisqu'avant de le laisser imprimer le menu, Paul Bocuse y avait fait rajouter plusieurs fautes d'orthographe, certain de rendre fou de rage le présentateur d'Apostrophes.
Sûr de lui, il avait même fait installer une caméra pour capturer la réaction de Pivot. Ça n'a pas loupé, et ce dernier a fait appeler Paul Bocuse, qui a fini par lui avouer l'imposture. Pensant avoir été humilié - les menus des autres convives étaient eux sans fautes -, l'homme de lettres avait mis longtemps à lui pardonner.
"Nous avons été de beaux salauds"
D'autres n'ont tout simplement jamais digéré les canulars de Monsieur Paul. Notamment Christian Millau, fondateur du fameux guide gastronomique, l'une des victimes préférées de Bocuse.
Avec son compère Alain Vavro, il avait ainsi fabriqué un faux exemplaire du Gault-Millau, où il posait en couverture avec des guides Michelin et cette citation inventée d'Henri Gault : "Pendant 20 ans, nous avons induit en erreur la cuisine française et nous avons été de beaux salauds". Un exemplaire envoyé à toute la presse nationale !
Autre victime à son tableau de chasse, Jean Couty. En 1965, le peintre avait réalisé un portrait de Paul Bocuse, qui trônait ensuite à Collonges. Pour une raison que l'on ignore, il était persuadé d'avoir peint des volailles sur le tableau. Ce qui n'était pas vrai.
Profitant d'un repas avec des journalistes et Jean Couty, Paul Bocuse avait fait semblant de s'excuser d'avoir effectivement découpé le tableau pour vendre à prix d'or la partie avec les poulets à un riche Américain. La presse avait ensuite diffusé la fake news, et Couty s'en était publiquement plaint à la télévision. Et même s'il se faisait traiter de tous les noms pour un crime de lèse-majesté qui n'avait jamais été commis, Bocuse était hilare.
Monsieur Paul savait utiliser la presse pour donner toujours plus d'ampleur à ses coups fourrés. Pour le 1er avril en 1971, il avait convoqué les journalistes rue Pleney, où se trouve Léon de Lyon, tenu à l'époque par Paul Lacombe. Car Bocuse avait fait croire que la rue s'appelait désormais rue Léon de Lyon, avec une plaque "Paul Lacombe, inventeur de la cervelle de canut. Fermé le dimanche".
Il avait même fait installer un podium, pour forcer son ami à devoir faire un discours à son retour du marché. Un adjoint au maire qui passait par là était tombé dans le piège et avait dû improviser une prise de parole. La plaque a longtemps été conservée chez Léon de Lyon…
Et quand le fils Lacombe, Jean-Paul, a pris la succession de son père, et a eu l'idée de lancer une recette de saucisson lyonnais cuit dans le "gêne", cette mixture obtenue à partir de grappes de raison compressées, Paul Bocuse a envoyé des camions décharger trois tonnes de gêne sur le palier du restaurant, avec la pancarte : "S'il y a du gêne, il n'y a pas de plaisir!".